Discours de la méthode

Publié le par sherlock7254.over-blog.com

Un problème est insoluble tant qu’il reste complexe. La méthode consiste à le simplifier (purifier) autant que possible jusqu’à faire apparaître l’évidence dont nous avons besoin. Pour permettre au cerveau de fonctionner correctement, il faut en ôter toute émotivité inutile. L’esprit doit être austère, précis, rationnel, sans émotivité et sans sympathie ou antipathie. Vider son esprit de tout ce qui freine la compréhension est un mécanisme fondamental du détective. Il faut atteindre cette équation qu’une réalité quelle qu’elle soit a au moins une implication. Tel objet se trouvant à telle place implique une conséquence. Le hasard est une impression due à une incompréhension.

Rien ne peut se faire sans information vitale pour le déroulement normal d’une enquête. L’esprit peut résoudre un problème s’il dispose d’éléments solides lui servant de point d’appui. Au contraire de ce que l’on pense, l’information ne manque pas plus au temps de Conan Doyle qu’au nôtre. C’est l’information utile qui est difficile à acquérir quand on en a trop ce qui est fréquemment le cas dans une scène de crime. Il faut effectuer un tri grâce à une observation minutieuse. En entrant dans une enquête, ce n’est pas l’information qui manque, mais sa pertinence. « It’s a capital mistake to theorise before one has data (Scandal in Bohemia) ». Néanmoins sans théorie, comment chercher et trouver l’information utile ? Si l’on ne sait pas chercher, on ne trouve rien. Commencer une enquête, c’est savoir où doit porter l’attention.

Holmes s’ingénie à réunir le maximum de détails avant de commencer à réfléchir. Cette quête du détail est professionnelle. Il trouve des indices, puis il commence à les ordonner selon une méthode inductive. C’est alors qu’il commence à émettre un certain nombre d’hypothèses qu’il met œuvre grâce à l’abduction. Ensuite, après vérification, éventuellement des expériences, et entretiens avec les différents protagonistes, vient la déduction. Sans un minimum d’hypothèses de départ, une enquête tourne en rond. En cela, l’abduction joue un rôle de premier plan dans la mesure où l’observation permet de fournir un ensemble d’indices probants.

Conan Doyle s’est, à l’évidence, inspiré du fondement trinitaire de la pensée selon Charles Sanders Peirce (1839-1914) divisant le raisonnement en trois parties :

1.      induction : ce chat vient de cette maison / ce chat est blanc / donc tous les chats de cette maison sont blancs OU ceci est une blessure au couteau / il y a du sang / donc toute blessure au couteau saigne abondamment

2.      déduction : tous les chats de cette maison sont blancs / ce chat vient de cette maison / donc ce chat est blanc OU toute blessure au couteau saigne abondamment / ceci est une blessure au couteau / donc il doit y a voir beaucoup de sang

3.      abduction : tous les chats de cette maison sont blancs / ce chat est blanc / donc ce chat vient de cette maison OU toute blessure au couteau implique du sang / il y a du sang / donc il y a une blessure au couteau. Dans le syllogisme abductif, la prémisse est certaine, la mineure est probable, la conclusion dépend de la validité de la mineure. Les gens sûrs d’eux sont souvent riches / celui-ci a l’air sûr de lui / donc il est probablement riche ou il veut avoir l’air riche. Le criminel cache sa personnalité / celui-ci cache sa personnalité / donc il est un coupable potentiel.

L’abduction donne une hypothèse possible en fonction d’une prémisse et d’une mineure. Elle n’est pas logique, elle est possible, mais non certaine. L’induction est une constatation, la déduction une vérification et l’abduction une hypothèse. L’abduction étant fragile, c’est le point faible de la plupart des raisonnements de Holmes (rendant facile sa parodie). Umberto Eco (né en 1932), féru d’enquête policière, reprenant la thèse de Peirce voyant dans ce type de raisonnement une capacité de création, affirme que l’abduction est la méthode du détective.

Ce type de preuve est utile puisque le travail d’une enquête consiste à revenir en arrière, à refaire le cheminement inverse du criminel. On part de certitudes, celles fournit pas un indice et on essaye de remonter son cours jusqu’à trouver l’explication la plus plausible. Ce type de raisonnement penché sur le passé, Holmes l’appelle reasoning backwards. Il œuvre au cas par cas, chaque problème résolu étant capable de remonter le cours du temps jusqu’à l’auteur du crime.

L’abduction est une inférence. De plusieurs propositions sort une conclusion que l’enquêteur peut vérifier à son aise. La déduction est présente dans l’abduction pour en assurer la valeur logique, mais elle reste liée à la vérification des prémisses. L’hypothèse logique implique une probabilité, mais non une certitude. C’est l’assemblage des différents éléments vérifiés qui amène une synthèse d’où les déductions découlent jusqu’à aboutir à l’évidence.

Aucune technique mentale ne peut être mise en route sans des observations approfondies dont le but est d’acquérir un maximum d’indices, autant de traces laissées par le criminel et sa victime dans leurs mouvements ou absence de mouvements. Sans indices, rien ne peut découler. Holmes le répète sans cesse. Il ne se cache jamais. Il explique ce qu’il fait et comment il arrive à telle ou telle conclusion, même s’il aime faire durer l’énigme tant qu’il n’a pas suffisamment d’éléments pour donner une réponse valable. La puissance d’observation n’est rien sans déduction. Sa vision est déterministe, tout étant interconnectés, chaque chose entraînant telle autre et ainsi de suite. Toute l’imagination, aussi grande soit-elle, est dépendante d’une réalité infiniment plus riche et variée.

Trouver ce détail qui permet de remonter le temps. L'observation ne suffit pas. On note un détail lorsque l'on y est amené par la réflexion. On ne voit rien d'autre que ce que l'on est prêt à voir. Une scène de crime est remplie de détails, lequel est déterminant, c'est la question qu'il faut se poser. Sans la vision globale d'un crime, on ne voit rien. Pour voir ce qui ne marche pas, il faut déjà savoir ce qui marche. Être médecin, ce n'est pas connaître ce qui va mal, mais ce qui va bien. Le mal dès lors apparaît clairement. La recherche d'indices est le travail d'un chasseur sachant lire les traces. Une trace n'existe pas en elle-même, mais en fonction d'une autre. Si un détail n'appelle pas un autre, il ne sert à rien. Un indice appelle à un autre et ainsi de suite jusqu'à la solution finale. Ce que cherche l'investigateur est donc une continuité.

La connaissance de Holmes tient à la chimie, la loi pénale, l’anatomie, la botanique, la géologie et la lecture assidue des faits-divers. Sinon, ce n’est pas un homme cultivé. Sa culture est pratique, il emmagasine beaucoup, mais se désintéresse des sujets théoriques ou abstraits. C’est un homme concret. Mais c’est aussi un homme d’une grande ouverture d’esprit douée d’une attention très forte. Il sait écouter, même s’il parait lointain. Ce que l’on voit est aussi important que ce que l’on ne perçoit pas. Voir tel indice est aussi important que de ne pas le voir.

Holmes est un psychologue hors pair, mais sa psychologie vient parfaire un raisonnement. En un premier temps, il n’en tient pas compte afin de ne pas dénaturer sa réflexion. Nous traduisons nos émotions sous forme logique pour les partager. La logique sert à partager notre intimité. La brutalité du criminel l’oblige à faire de fréquents arrêts pour prendre le temps de formaliser ses actes afin de les camoufler. En cela, il s’intéresse à la nature humaine qu’il tente d’explorer par tous les moyens à sa disposition. C’est un criminologue avant l’heure.

Le raisonnement trouve son corollaire chez les personnages, le détective, son aide, la victime, les suspects, le criminel potentiel, le policier plus, éventuellement, une autre victime, généralement une femme. Les personnages sont au premier plan puisqu’ils ont la clé de l’énigme par leur réalité sociale, mais aussi intérieure et profonde. On découvre les personnages principaux par l’enquête. Seul le coupable reste caché par une absence de description puisque c’est son vécu qui implique son crime. Le mystère éclairé, l’effroi fait place au bonheur d’un monde qui retrouve sa raison d’être.

Le fait de décrire un personnage en fait un innocent potentiel puisque sa vie est montrée au grand jour. Seul le coupable se terre dans le mystère. Dans le processus littéraire de Conan Doyle, le lecteur se trouve un état passif. Aucun élément ne lui est fourni. Seul Sherlock est actif. Les autres personnages sont là pour le mettre en valeur. En cela, l’auteur est loin d’être un féru d’énigmes policières. Il peut approfondir tel ou tel personnage, mais c’est pour mieux valoriser le rôle du détective. Entre Sherlock et son lecteur, Watson joue le rôle d’intermédiaire. Tout ce que nous savons de l’histoire, nous l’apprenons de la bouche de Watson qui a du mal à suivre une enquête qui la dépasse.

L’objet a sa logique et les individus ont la leur qui n’est pas forcément la même. Entre les deux, Holmes choisit celle des objets. Quand il interroge une personne, il s’attend à trouver la logique d’un objet déterminant sans réellement se soucier de celle la personne. En d’autres termes, la psychologie des personnages de Conan Doyle est désuète. L’évidence du crime est objective, jamais subjective. L’objet a sa logique qu’aucun individu ne semble pouvoir nier. Cette évidence est camouflée par un récit mystérieux et incompréhensible sauf pour Holmes. Doyle formule un mystère et non une énigme. On trouve un dénuement rationnel du mystère, mais les personnages s’effacent devant les objets. Tout le récit du roman policier par la suite prend le chemin inverse. L’objet reste déterminant, mais la logique du personnage joue un rôle de plus en plus déterminant notamment au niveau du mobile. Et le mobile nous fait entrer dans la psychologie du criminel.

But is not all life pathetic and futile ?

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